Cadeau pour la Saint Valentin... Une nouvelle "L'A... Mourir" par Frédérick Rapilly (extraite de "A nos amours, bordel")

Saint Valentin
Une nouvelle extraite du recueil numérique "A nos amours, bordel" des Exquis (dont Ludovic Bisot – David Boidin – Marilyn Bréand – David Charlier – Armelle Chatel – Paul Colize – Luc Doyelle – Stéphane Focheux – Maxime Gillio – Florent Jaga – François Lefebvre – Stanislas Petrosky – Frédérick Rapilly – Francine Rey-Terrin – Pierre Rouffignac – Maud Saintin - Patrick-S Vast)


Pour le télécharger gratuitement, c'est ici...

http://www.exquismen.com/boutique/livres-numeriques/12-a-nos-amours-bordel-epub.html




 

 

L’A...
par Frédérick Rapilly



Elle n’avait pas dit un mot. Mâchoires serrées, contractées. L’homme effleura son beau visage, le caressant avec lenteur, puis il se pencha pour déposer un baiser sur son front.
— Tu ne dis rien ?
Il n’y eut que le silence.
— Ce n’est pas grave, mon amour, je parlerai pour nous deux. Comme d’habitude. Sais-tu quel jour nous sommes ? Le 14… Le 14 février. Le jour de la Saint-Valentin. Je t’avais dit que nous y arriverions. Encore une fois. Comme tous les ans.
Il la regarda avec attention.
— Tu souris ? Je savais bien que j’arriverais à t’arracher un sourire. Aujourd’hui, tu ne bouges pas, je m’occupe de tout. Reste allongée et repose-toi encore un peu.
L’homme se leva. Il contourna le grand lit pour allumer un vieux poste radiocassette. La fréquence était préréglée sur France Inter. Il tomba sur la fin du bulletin d’informations de huit heures.

« … Il est d’usage en Corée pour la Saint-Valentin que les femmes offrent du chocolat aux hommes. Un mois plus tard, ce sont les hommes qui offrent le 14 mars pour la Journée Blanche toutes sortes de bonbons aux femmes, à l’exception de ceux au chocolat. Et le 14 avril, ceux qui n’ont rien reçu pour la Saint-Valentin ou pour le 14 mars se retrouvent au restaurant pour manger des nouilles colorées en noir et se lamenter sur leur statut de célibataire… »

— Tu as entendu ? J’espère que tu as prévu de m’offrir du chocolat, mon amour.
Il lui souriait en disant cela, guettant une lueur d’amusement dans ses yeux.
Mais il ne vit rien.
Il émit un discret soupir de dépit.
À la radio, un nouveau chroniqueur avait pris la suite du premier. Un billet sur le Mondial au Brésil et la colère des prostituées locales obligées d’augmenter leurs tarifs pour s’adapter à la flambée des loyers à Rio. L’homme changea  de station. Il passa sur Radio Nostalgie. Romy Schneider y murmurait La chanson d’Hélène.
Les paroles, mélancoliques, flottèrent dans la pièce…

« … j’ai fermé ma chambre, le soleil n’y entrera plus. Tu ne m’aimes plus. Là-haut, un oiseau passe, comme une dédicace dans le ciel. »

***

La journée s’achevait. Dehors, il faisait déjà nuit depuis bien longtemps. L’hiver dans l’hémisphère nord.
L’homme revint dans la chambre.
Dans sa main gauche, il tenait, accrochée au bout d’un cintre, une robe noire. Fine, soyeuse. Il la tint à bout de bras devant lui pour la montrer à la femme étendue sur le lit.
— J’ai pris celle-ci. C’est ta préférée, non ? Tu la portais déjà l’année dernière. Et l’année d’avant aussi. Elle te plaît toujours ?
De nouveau, il guetta une lueur dans les pupilles. Son visage s’éclaira soudain. Quelque chose dansait dans les yeux de son aimée. Dans la rue, les lampadaires s’allumaient un à un et tentaient de percer l’obscurité. Peut-être n’était-ce qu’un reflet, mais peu importait, c’était un signe.
Et c’est tout ce que l’homme désirait. Un signe.
Il s’approcha du lit. Avec douceur, il fit asseoir la femme en la soulevant sous les épaules, l’appuyant contre son buste. Son corps était souple, malléable entre ses doigts. Il huma ses cheveux qu’il avait parfumés plus tôt dans la matinée, posa ses lèvres chaudes en haut de son cou. Un peu en dessous de l’oreille. Juste là où elle aimait qu’il l’embrasse quand ils faisaient l’amour.
Elle resta immobile, mais quand il se pencha sur son visage, il eut l’impression que ses yeux avaient cillé. Qu’elle avait frémit. Un minuscule battement de paupières destiné à lui seul. Il sourit. Heureux. Il chercha de nouveau la lueur malicieuse dansant dans ses pupilles. En vain. Mais maintenant, il avait la certitude qu’elle était présente. Quelque part. Si proche.
Il expira longuement. Puis il reprit son rituel, retirant sa chemise de nuit en lui tenant les bras dirigés vers le haut, faisant glisser le vêtement le long de son buste. Au contact de ses mains avec la soie, il y eut une décharge d’électricité statique. Une micro étincelle. Un centième de vie. De nouveau, il sourit. Elle était là. Il en était certain.
De sa main restée libre, il attrapa la robe. Il l’ôta du cintre et la lui enfila. Délicat. Comme s’il craignait qu’elle ne se désagrège entre ses doigts.
Quand il eut fini, il l’allongea de nouveau sur le lit. Il se leva et alla farfouiller dans le dressing attenant. Quelques minutes plus tard, il en revint, tenant entre les mains une paire de bas fumés, une culotte en dentelle noire et une fine paire d’escarpins à lanières.
L’homme s’assit sur le bord du lit. Il effleura du dos de la main les jambes de la femme, faisant durer le contact. Une minute. Deux. Puis il commença à enfiler l’un des bas sur le pied droit nu, le remonta jusqu’en haut de la cuisse. Il recommença le même geste sur l’autre pied. Après, il passa la culotte en troussant la robe jusqu’au ventre, faisant claquer l’élastique.
Quand il eut fini, il remit l’étoffe en place, la tira jusque sous les genoux. Avec soin, il lissa le tissu satiné. Longtemps. Passant et repassant le dos de la main.
Enfin, l’homme souleva chacun des pieds aux orteils peints en rouge sang pour y glisser un escarpin à talon, entrelaçant les fines lanières autour des chevilles.
Le cérémonial avait duré une demi-heure.
L’homme se redressa et fit deux pas en arrière. Il resta là, longtemps, à contempler la femme étendue, élégante dans sa robe de soirée noire.
Il pressa ses lèvres contre les siennes.
Puis il s’allongea à côté d’elle.

***

— Alors ? demanda l’un des policiers en faction à l’entrée de la maison.
— Ce n’est pas très beau à voir. Il s’est tiré une balle dans la tête.
— Et la femme ?
— C’était son épouse. D’après les gars de la Scientifique, elle était déjà morte depuis plusieurs mois. Il l’avait conservée dans un congélateur au sous-sol. Il a dû la sortir pour la Saint-Valentin.
— Quel malade !
— Peut-être… Ou alors, il l’aimait.



… Mourir


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